L’idée d’organiser un colloque sur la pertinence et les enjeux de l’introduction de l’Intelligence Artificielle dans la formation et la recherche aujourd’hui marque d’emblée le souci de prendre une certaine distance avec le ton souverain des méthodes traditionnelles de transmission/acquisition du savoir. De fait, on peut comprendre ce projet comme un effort pour inventer d’autres rapports avec la question de l’enseignement et de la recherche qu’il faut polir au prisme d’un questionnement renouvelé. Il s’agit là d’un exercice improbable et qui n’est pas sans risque car dans le domaine de la formation et de la recherche, l’introduction de l’Intelligence Artificielle est une catégorie à polémique et source de distorsions. Trois positions nourrissent les contradictions et semblent confinées à un scepticisme raffiné.
Premièrement, le principe unificateur de la formation/recherche et de l’Intelligence Artificielle paraît à la fois outré – au regard des différentes manifestations d’autonomie des sciences de l’enseignement – et excessif dans une atmosphère de déni des technologies où par analogie, les sciences humaines faisaient figures de métropoles impérialistes dont la puissance hégémonique devait être empiétée au nom des revendications d’interdépendance justifiées par le succès des technologies. Dans la mesure où une telle position se complait dans l’attitude de ne rien attendre d’essentiel de la technologie en général, le divorce entre la formation et l’Intelligence Artificielle semble prononcé sinon même consommé et justifié. Evidemment, c’est une méprise car il ne s’agit pas d’une lutte interdisciplinaire ou d’interdépendance où la formation pure relevant des sciences humaines devrait protéger son domaine de compétences, mais d’une préoccupation purement méthodologique.
Deuxièmement, la question de l’identité de l’esprit humain et de la machine qui glisse fatalement sur la question de la conscience et, par ricochet, de la formation. La conscience humaine étant le produit du cerveau, il va de soi que l’ordinateur simulant parfaitement le cerveau ait aussi une conscience. Avant de revenir sur les conséquences d’une telle déduction, il est nécessaire de répondre à la question qu’elle soulève, celle du fonctionnement du cerveau humain. Pour le faire, il faut partir d’un renversement de perspective en considérant la manière dont fonctionne l’Intelligence Artificielle qui en est une duplication. Cette dernière improvise et génère parfaitement des idées, détermine les motivations, les pensées dans le temps présent. Puisque celui-là est une reprise en raccourci de celui-là, il ne serait pas déraisonnable de penser que le cerveau humain, s’appuyant sur des exemples visuels et se fondant aussi sur des expériences contre-intuitives s’invente en permanence, improvise constamment nos comportements sur la base de nos expériences et des connaissances. La conscience du cerveau humain est donc une conscience-là, sans profondeur cachée, comme l’est celle de l’Intelligence Artificielle. Cela équivaut ni plus ni moins à une absence de conscience. Cela permet de s’interroger sur les conséquences de la préoccupation laissée en suspens. Comment utiliser efficacement les artéfacts sans conscience pour former la conscience des hommes conscients ? Une conscience de machine qui n’est rien qu’une conscience humaine dupliquée n’expose-t-elle pas au risque inévitable de déshumaniser l’homme ?
Troisièmement, la question de l’originalité de la recherche dans un contexte marqué par l’absence de règlementation de l’Intelligence Artificielle. La violation du droit d’auteur, la deepfake, les infox, la pédopornographie, etc. ont fini par nourrir la méfiance dans sa pureté car le mal y déploie librement ses figures différenciées en un procès infini auquel nul esprit sérieux ne peut apporter pièce à charge pour instruire la moindre positivité. Toutefois, même si l’usage pervers de l’Intelligence Artificielle s’avère capable de rendre compte, de manière précise, des dangers qui guettent son introduction dans la formation et la recherche qu’il est censé améliorer en assurant son efficacité, cela n’exclut d’aucune manière sa mise à l’écart à cause des degrés d’intelligibilité auquel il donne accès. Cette considération oblige à se tourner raisonnablement vers une collaboration effective, du moins envisageable, pour autant que ce dialogue n’apparaisse pas très nettement comme une manière d’aller à Canossa. Il y a donc une relation réciproque à établir entre l’Intelligence Artificielle et une formation/recherche qui implique une connaissance de l’Intelligence Artificielle comme un élément de son champ. Cette immanence fait de l’Intelligence Artificielle l’idéal de la connaissance entretenant sans cesse un rapport avec la formation. Sa manipulation exige donc la réunion d’un intérêt pédagogique et d’un intérêt technologique et semble rendre compte de l’injonction de l’histoire : vous ne pouvez pas faire la recherche et la formation aujourd’hui sans l’Intelligence Artificielle. Le dire ne signifie pas accepter sans discussion ni critique l’ensemble des réprobations faites à l’Intelligence Artificielle, mais permet de mettre l’accent sur le fait qu’il est l’horizon indispensable pour la recherche et la formation quand on scrute le ciel qui annonce l’avenir.